Se marier
à Irigny entre 1780 et 1790


A. Fourié : "Repas de noces à Yport" (detail) - Musée de Rouen

Entre 1780 et 1790, 71 mariages ont été célébrés à Irigny.
Un seul en 1780, étonnant! mais en moyenne, entre 7 et 8 par an.

Le mariage au XVIIIe siècle

Au XVIIIe siècle, le mariage a généralement lieu dans la paroisse de l'épouse. Il est précédé par une annonce dans les paroisses d'origine et de domicile des futurs conjoints, et ceci trois dimanches de suite.

Si les mariages "de convenance" sont d'usage en ville, les campagnes laissent a priori un peu plus de place aux attirances mutuelles ... bien que les unions "de raison" existent également, que l'intérêt en soit financier (réunion de terres ou de troupeaux) ou familial (remariage des veuves et des veufs).

Pour les filles mineures, le consentement du père ou, s'il est décédé, d'un frère, est nécessaire; toutefois à Irigny entre 1780 et 1790, les BMS ne présentent aucun cas de refus de ce consentement.

Les remariages sont assez fréquents, en général pour des raisons plus "pratiques" que sentimentales : l'homme qui se retrouve seul doit trouver une femme pour s'occuper de ses enfants, et la femme veuve doit trouver un homme qui rapporte un salaire au domicile - bien qu'un grand nombre de femmes travaillent également, à cette époque, dans les campagnes et en particulier à Irigny.

Le jour du mariage

Jusqu'en 1792, avant la création de l'état-civil, tous les mariages doivent être célébrés en semaine, les festivités nuptiales étant inconciliables avec la sainteté du dimanche.

C'est le cas à Irigny puisque sur 71 mariages, un seul a été célébré un dimanche-les raisons de cette exception n'apparaissent pas, malheureusement, à la lecture de l'acte.

On constate que la moitié des mariages est célébrée un mardi, et un quart, un lundi.

Ce pic peut avoir plusieurs explications et résulte essentiellement d'un choix par défaut:
- Le dimanche, on l'a vu, est réservé au culte, et chacun reste dans sa paroisse
- Le vendredi, jour de jeûne et d'abstinence, est par ailleurs considéré comme portant malheur, étant le jour de la mort du Christ
- Le samedi est souvent jour de marché; par ailleurs, situé entre deux jours peu propices, il est un mauvais choix a priori.
- Les festivités qui suivent le mariage durent plusieurs jours, et la limite en est le vendredi : le jeudi n'est donc pas un bon jour non plus.

  
Distribution hebdomadaire des mariages

Il reste donc le lundi et le mardi.
Souvent, le lundi est réservé pour les mariages dont les témoins viennent parfois de loin - les voyages sont souvent longs à l'époque.
Par ailleurs, les préparations du mariage, tant du point de vue religieux (communion des futurs époux) que pratique (préparation du repas de noces) doivent être le plus proche possible du jour du mariage : cas idéal si la cérémonie a lieu un lundi ou un mardi.

Le mois du mariage

A cette époque où la majorité de la population française est rurale et vit de l'agriculture, les mariages sont généralement évités durant les mois d'été, période d'intense activité agricole : 1 seul mariage en juin, 3 en juillet sur cette période de 10 ans.

Par ailleurs, le caractère religieux du mariage (encore pour quelques années) exclut a priori certaines périodes : Avent et fêtes de Noël, Carême, de même que les fêtes religieuses (Pâques, Pentecôte, Ascension, Assomption, Toussaint).
A priori, donc, aucun mariage n'est célébré en mars, mois le plus souvent totalement inclus dans la période du Carême.


Distribution mensuelle des mariages
  
A Irigny, 3 couples se sont pourtant mariés en mars entre 1780 et 1790 : c'était en 1783. Deux mariages ont été célébrés le 3 mars, et le troisième, le 4.
Aucune mention n'est faire sur ces trois actes d'une quelconque "dispense de temps", pourtant nécessaire dans de tels cas...

Si, pour les deux premiers couples, aucune raison particulière ne se dessine, le troisième, Noël PITHIOT et Jacqueline PONCET, était dans un cas de force majeure : leur enfant naîtra en juin !

Plus de la moitié des mariages, dans les faits, sont célébrés en janvier ou février : morte-saison, rareté des travaux extérieurs, temps libre, absence de contraintes religieuses... Contrairement aux représentations traditionnelles des noces campagnardes sous le soleil, la plupart des mariages avaient lieu en hiver!

 
  Mes ancêtres Pierre BLANC et Jeanne PREMIER (Sosa 156 et 157) se marièrent bien un mardi, comme la plupart des Irignois, mais choisirent le mois de mai ... quoiqu'il apparaisse que le jeune couple n'ait guère eu le choix, leur premier enfant étant prévu pour août!
 

Les remariages

Sur les 71 mariages célébrés entre 1780 et 1790 à Irigny, 12 sont des remariages : l'époux est veuf, l'épouse est veuve ... ou les deux sont dans ce cas.

Sur ces 12 mariages, 8 concernent un homme veuf qui se remarie.
Le délai entre la date de son veuvage et son remariage se situe entre 4 et 8 mois dans 5 cas, et est égal à 4 ans et demi dans le dernier cas : délai relativement bref.
On note que la durée du premier mariage, pour ces veufs, est dans tous les cas inférieure à 11 ans , ce qui rend probable l'existence au foyer de jeunes enfants et la nécessité pour le père de trouver une nouvelle femme pour s'en occuper.

On rencontre 2 cas de femmes veuves qui se remarient : la première, Marie MOREL, a perdu son premier mari avant 1780, et se remarie en 1785 ; les registres ne lui mentionnent pas d'enfant. La seconde, Marie PICON, veuve en janvier 1786, se remarie ... en août de la même année! Le premier enfant de ce couple ne naîtra que l'année suivante, il ne s'agissait donc pas d'un mariage "urgent" ; mais Marie avait au moins deux jeunes enfants (1 an et 3 ans) à charge et ceci a pu motiver son remariage .. bien que pour le moins rapide !

A 2 reprises enfin, c'est un veuf qui épouse une veuve. Les registres, très laconiques dans ce cas, ne mentionnent pas la filiation des époux mais uniquement les noms de leurs ex-conjoints. Ainsi apprend-on qu'en novembre 1789, Jean CHENEVIER épouse Marie-Anne BOUQUET, veuve depuis .. 3 mois! La raison de ce remariage rapide ne se trouve pas dans l'existence d'enfants à charge : les 3 que Jean a eus de sa première femme sont décédés, de même que la seule fille que Marie-Anne a eue de son premier mari. Le couple n'aura, lui-même, pas d'enfant avant 1790.
Le second remariage veuf-veuve, qui a lieu en janvier 1790 entre Pierre MOREAU et Jeanne JULLIEN aboutira, 9 mois plus tard, à la naissance d'un enfant, au moins le 6ème pour Pierre qui en avait malheureusement déjà perdu 4...

Au moins 3 de ces remariages resteront sans postérité - en cause, l'âge des mariés, le souci de ne plus procréer peut-être aussi, afin de ne pas rendre encore plus difficile l'éducation des jeunes enfants qui restaient déjà au foyer.

Mais un certain nombre de remariages seront féconds, dans des délais plus ou moins rapides... le record étant détenu par Marie PERONET, qui se marie avec le veuf Joseph RIBOULETen septembre 1785 et accouche en octobre !

 
  Mon ancêtre Etiennette CHIZAT (Sosa 315), qui décède en 1798, s'était mariée 2 fois : de son premier mariage avec le boulanger Gaspard PREMIER, elle avait eu au moins 7 enfants. Quand Gaspard meurt, en 1769, alors qu'elle-même est en train d'accoucher, il lui en reste 6 à élever. Elle épousera en secondes noces Joseph LAGER, un autre boulanger, dont elle aura au moins un fils.
 

Au fil des registres...

Mariages doubles ou triples

Chaque année, on rencontre au moins une fois le cas : deux ou trois mariages sont célébrés le même jour, et les actes se suivent sur les registres paroissiaux.
Entre 1780 et 1790, on rencontre ainsi 5 mariages doubles et 2 mariages triples.
La majorité de ces mariages "simultanés" ne semble pas tenir à un caractère familial ; d'ailleurs les témoins sont différents et propres à chaque mariage. Il est d'ailleurs légitime de se demander si, ensuite, la moitié du village festoyait d'un côté, l'autre moitié, de l'autre, ou si les familles unissaient leurs moyens!

Deux de ces mariages retiennent toutefois l'attention:

  • Le 17 janvier 1786, Jean BESSON épouse Claudine BOUILLON, tandis que Barthélémy BOUILLON, soeur de Claudine, épouse Anne BESSON... soeur de Jean.
    Situation somme toute peu extraordinaire que ce double mariage intrafamilial, mais que l'on ne rencontre qu'une seule fois sur cette période de 10 ans.
    A noter que dans ce cas, les témoins sont les mêmes pour les deux mariages.
  • Le 10 février 1789, on trouve deux mariages successifs concernant le dénommé "Jean-Marie LOUIS"... mais une lecture des actes nous apprend qu'il s'agit de deux homonymes ... Ces villageois n'ont sans doute pas réfléchi aux confusions qui pourraient survenir, deux siècles plus tard, chez les généalogistes, à cause de ce double mariage !
  
P. Bruegel : "Repas de noces" - Kunsthistorisches Museum de Vienne

Endogamie sociale?

Il se trouve que sur cette période de 10 ans, aucun mariage n'a apparemment uni de "notables" au sein du village : le notaire COQUARD, le chirurgien DELAVAL se sont apparemment mariés ailleurs et avant.

Par ailleurs, sur 71 mariages, la profession de l'épouse n'est mentionnée que 4 fois ... difficile dans ces conditions de discuter de l'existence ou non d'une endogamie sociale ou professionnelle ...

Dans le premier cas, un journalier non originaire d'Irigny épouse une domestique du village
Dans le second cas, un serrurier d'une commune voisine épouse une tailleuse
Dans le troisième, une "employée au service du Sgr [?]" épouse un homme dont la profession n'est pas citée mais qui vient d'une commune extérieure
Enfin le dernier cas est plus "classique" : le 13 mai 1782, Claude COUILLARD, jardinier au château d'Irigny, épouse Anne BLANDIN, "employée au service du Sgr d'Irigny"

Endogamie géographique?

La grande majorité des mariages se fait entre Irignois : seuls 10 mariages font état d'un conjoint originaire d'une autre commune.

  
Les 8 époux extérieurs viennent

-pour 3 d'entre eux, de Vernaison (commune limitrophe d'Irigny)
-pour 2 d'entre eux, d'Oullins (à 6 km)
-de Ternay (à 10 km)
-d'Orliénas (à 11 km)
-de la Guillotière (aujourd'hui incluse dans Lyon, à 12 km)

La profession ou l'occupation du futur époux peut expliquer cette mobilité : c'est l'étudiant en chirurgie Martin CHIRAT qui vient de Lyon ; on a vu que le chirurgien d'Irigny, Joseph DELAVAL, était susceptible de le former à cette période.
Les deux autres mariés "étrangers" dont le métier est cité sont, l'un serrurier, l'autre voiturier sur l'eau : pour le premier, rien d'évident, mais pour le second, explication logique d'une mobilité liée à sa profession.

Quant aux femmes, à 3 reprises est mentionnée une origine extérieure: la première vient de Brindas (à 15 km d'Irigny), et les deux autres, de Saint-Genis-Laval, commune limitrophe.

Traditionnellement avant l'avénement de l'état-civil, le mariage d'une jeune fille avait toujours lieu dans sa commune de résidence : quelles raisons ont pu pousser ces trois femmes à venir se marier à Irigny ?
L'origine des témoins ne nous apprend rien ; peut-être le curé des villages concernés était-il empêché ?...

Un mariage "croisé"...

Le 5 juillet 1790, Françoise QUINET épouse Jean BLANC.
Treize ans auparavant, en 1777, c'est la mère de Françoise qui épousait le père de Jean.. on ne peut s'empêcher de penser que les deux époux ont nécessairement dû vivre ensemble avec leurs parents veufs et remariés avant de se marier eux-mêmes!
Quoiqu'il en soit, ce jour-là, la "belle-mère" de Jean l'est devenue encore plus, tout comme le "beau-père" de Françoise... Mariage peut-être "d'intérêt", visant à faciliter la transmission du patrimoine .. ou réelle attirance entre ces presque demi-frère et soeur?



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