Fort-Royal (Martinique), 15 janvier 1827


Très cher Papa et très chère Maman,

Arrivé depuis quelques jours dans la colonie, j'aurais désiré trouver plus tôt l'occasion de vous annoncer mon heureuse arrivée. Le moyen jusqu'ici ne s'en étant pas présenté, je saisis donc la première occasion pour vous dire que je jouis d'une parfaite santé.

Après cinquante jours de mer qui m'ont paru bien longs à cause d'un vomissement presque continuel occasionné par les roulis du bâtiment et la grosse mer, nous avons enfin débarqué à la Martinique.
J'y ai trouvé mon frère dans une parfaite santé et presque méconnaissable par le rapport de la grosseur. Je le crois plus gros que mon père, malgré toute l'activité et toute la peine qu'il se donne. Ses affaires vont assez bien et il court cette année la chance de ganger de l'argent, s'il n'est assailli par de nouveaux malheurs. Car depuis mon arrivée il a perdu deux nègres.


Je désirerais bien, très chers parents, au commencement de cette nouvelle année, pouvoir vous témoigner tout ce que je ressens pour vous et vous prouver de quelque manière ma tendresse: mes moyens et mon éloignement y mettant une barrière insurmontable., je ne peux qu'adresser au Ciel les voeux les plus sincères et les plus ardents pour la conservation de vos jours et le prier de bien vouloir vous faire parvenir à la vieillesse la plus heureuse et la plus comblée, en vous donnant des jours remplis de satisfactions et santé tels qu'on peut les désirer.

Pour moi, dès le lendemain de mon arrivée au Fort Royal, je me suis mis à l'ouvrage et je n'ai cessé de travailler jusqu'à présent
Mon frère vient de vendre son fond de magasin de détail pour se livrer tout entier à la navigation de ses gros bois. Je continue de l'aider dans sa nouvelle occupation qui ne le laisse pas sans travail.
J'ai en outre sous ma direction la gestion d'un autre gros bois que mon frère a géré l'an passé; il pourra me donner quelque avantage en attendant mieux.
Je ne vous dirai rien d'intéressant pour ce qui regarde la colonie. Il y fait très chaud dans cette saison malgré que l'on dise que ce n'est pas le moment des grandes chaleurs.

Mon frère Eugène m'avait prié à mon départ de lui donner quelques renseignements sur les affaires que l'on peut entreprendre dans la colonie. Je ne puis pour le moment ici que le détourner de son projet, s'il en conservait toujours l'envie, car sans parler du danger que l'on court en mer pour faire la traversée et des fièvres qui règnent continuellement dans ces climats, ce n'est qu'au bout des années qu'on parvient à connaître les personnes avec qui l'on peut traiter et que l'on obtient leur confiance. Ainsi donc, pour l'intérêt que je lui porte, veuillez le prier de tourner ses voeux d'un autre côté.


J'apprendrai avec beaucoup de plaisir ainsi que mon frère Auguste la nouvelle qui nous annoncerait que notre frère Eugène s'est lié avec la famille Rouabet de Montrigaud et nous engageons même mon père ainsi que mon frère Maurice à faire tant en démarche qu'en argent tout leur possible pour en assurer la réussite.

J'espère moi-même à l'époque dite ici, si je suis tant soit peu heureux, pouvoir faire passer à mon frère ce que je lui dois, et je le prie d'en recevoir mes remerciements.

Bien des choses à notre frère Maurice, sa femme, notre frère Eugène, sa femme, Xavier et sa femme, ainsi qu'à toutes leurs familles. Veuillez je vous prie les assurer de notre amitié et leur dire que nous souhaitons à tous en particulier une heureuse année ainsi qu'à notre frère Théodore et nos deux soeurs.

Je vais me mettre en devoir un de ces jours d'écrire à Gabrielle ainsi qu'à nos tantes de Valence, en attendant assurez-les de notre respect si vous avez l'occasion de leur dire. Veuillez aussi assurer nos compliments à tous ceux qui vous parleront de nous ainsi qu'à tous nos parents.
Si vous avez l'occasion de voir Monsieur et Madame Bernard de Romans, veuillez leur assurer pour moi mes respects et leur dire que je penserai toujours avec plaisir à eux et que je leur écrirai comme je l'ai promis.

Vous avez dans ce moment ici Monsieur Arnaud qui est en France; saluez-le je vous prie et dites-lui que (...) ainsi que Monsieur Arnaud et sa femme se portent (...) aux enfants qui sont gâtés à l'impossible.
Je pense qu'il partira en septembre (...).
Dites de même à Nublat que j'ai fait sa commission, que la personne pour qui elle était adressée se porte bien ansi que sa fille, qu'ils lui souhaitent tous les deux le bonjour ainsi que mon frère et moi.

Souffrez que je finisse là et veuillez recevoir mon embrassement le plus affectionné, en vous priant de croire que nous sommes, mon frère et moi, vos deux fils les plus désireux de vous servir.


Julien Perriollat



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