Habitation Beausoleil (Guadeloupe), 10 mai 1833


Ma très chère soeur,

Je suis bien en retard pour t'adresser les remerciements que je dois à notre bien chère tante pour toute la peine qu'elle a bien voulu se donner pour moi. Dis-lui bien que ce n'était pas mon intention d'être aussi négligent et que je la prie de me pardonner mon impolitesse.

Lorsque je reçus l'année dernière la lettre contenant et la consultation de l'avocat et la note de notre très cher oncle de Crest j'espérais qu'un mois ou deux au plus me suffiraient pour me procurer toutes mes pièces en règle et les envoyer en France ; alors je t'avais écrit cette lettre que tu ne reçois qu'aujourd'hui par la raison que je n'ai pas pu faire cet envoi plus tôt. Encouragé par l'empressement qu'a mis notre cher oncle à communiquer à Monsieur Ollivier la lettre que je t'avais adressée et [...] la promesse qu'il en a reçu qu'il s'intéresserait à mon [...] aussitôt qu'il aurait connaissance de l'envoi des pièces en [...] par la Marine, je n'ai pas balancé à lui écrire directement ; je pense que j'ai bien fait. Mais, pour que mes très chères tantes et toi chère soeur puissiez prendre connaissance de ce que j'écris à notre oncle sans multiplier les frais de port de lettre, je mets sous ton pli la lettre avec prière de la lui faire parvenir bien soigneusement aussitôt que l'objet pour lequel je te l'envoie sera rempli. La lettre de notre oncle t'expliquera les motifs qui m'ont fait quitter la Martinique pour venir me fixer à la Guadeloupe où je suis depuis le mois de septembre dernier. Notre frère Julien est toujours à Saint-Pierre, tous les quinze jours je reçois de ses nouvelles, il se porte bien. Il est toujours dans une position assez précaire. Je lui ai laissé en partant le soin des intérêts qui me restent dans cette colonie.

Tu trouveras peut-être ma lettre à l'oncle sinon sèche du moins dépourvue de cette manière aimable d'écrire dont tu te tiens si bien dans tes lettres. Mais outre que je plie difficilement ma plume à ce style orné pour lequel je n'ai aucune vocation, j'ai pensé que dans ce cas-ci je pouvais me dispenser de mettre mon esprit à la torture, d'abord parce que je n'ai pas l'avantage d'être connu de l'oncle et qu'ensuite ma lettre pourrait bien être envoyée telle quelle à Monsieur Ollivier. Si tu la juges telle que je la juge moi-même accompagne-la d'une lettre qui supplée à ce qui lui manque. Je serai bien content de moi, je te l'assure, si l'oncle me jugeait par la suite digne d'entrer en correspondance avec lui. Dans tous les cas écris-moi promptement le succès qu'elle aura eu et l'opinion qu'on a de mon procès.

Embrasse bien pour moi nos très chères tantes que j'aime beaucoup, dis-leur bien que ma première ambition est de conserver leur estime et la tendre amitié dont elles m'ont si souvent donné des preuves, mon unique désir de profiter de la première occasion favorable que les circonstances m'offriront [...] de toute la famille y [...] de ces doux épanchements dont l'idée seule me transporte de joie. Je me fais, ma très chère soeur, un tableau si délicieux de cette réunion tant désirée que j'éprouve un chagrin mortel d'être dans la cruelle nécessité de la différer si longtemps; donne de mes nouvelles à la maison à notre très cher Papa, à notre très chère Maman, à tous nos frères, à notre soeur. Si je leur écris aussi rarement c'est plutôt la faute des circonstances que la mienne [...] j'éprouve tant de contrariétés que j'ai cru devoir garder [...] les leur mettre sous les yeux. Aussi ai-je eu lieu de [...] puisque cela m'a [...] nouvelles qui ne [...] jamais sans me faire oublier plus ou moins longtemps tout ce que ma position peut avoir de pénible. Enfin, très chère soeur, si la source de mes infortunes est tarie, si après avoir perdu le fruit de dix ans de travaux, si après quatre ans d'une maladie aigüe je dois compter sur un peu de bonheur, je me trouve dans la position la plus favorable pour en jouir dans toute sa plénitude ! J'oubliais de te dire que le négociant commissionnaire de l'habitation que j'administre (M.Ancelin), jeune homme de mon âgen partant pour France avec le désir de voyage pourrait bien passer par Valence, dans ce cas il m'a promis d'aller te voir je lui ai donné ton adresse, s'il remplit sa promesse je te prie de l'accueillir avec bonté, je ne perds aucune de ces occasions qui sans doute te font plaisir.
J'ai lieu de croire que Madame Chalamel t'aura fait tenir une lettre que je lui ai remise pour toi à son départ pour France et que peut-être tu auras eu occasion de la voir à son arrivée au pays.

Adieu très chère soeur, reçois les [...] de plus tendre et du plus dévoué des frères.

Ton ami,


Auguste Perriollat



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