Un abat-jour orange tamisait la lumière
Sur la nappe à carreaux, j'avais posé ma main
Je l'avais posée là,
Si proche de la tienne
Le soleil se mourait derrière le Sacré-Coeur.
Autour de nous des gens riaient
des gens parlaient
des gens buvaient.
Devant nous deux amoureux se regardaient le coeur.
Ils écoutaient le bruit de leur amour
et mon amour chantait si fort en moi
si léger
si tendre et si vrai
que j'avais peur que tu l'entendes
que les gens l'entendent
que le monde l'entende,
alors que j'aurais voulu
alors que je voudrais
que le monde le sache
que les gens le voient
et que tu devines.
Mais tu ne devinais pas
et le monde s'en moquait,
et les gens parlaient tout seuls,
buvaient si seuls
et riaient
affreusement seuls.
Parce que soudain je les avais vus
j'avais mis à nu leur coeur si vide,
leur âme si perdue
et leur regard si misérable à force de rire faux
de jouer faux
de vivre faux.
Parce qu'ils n'aimaient pas,
ils ne pouvaient pas
aimer autant que moi,
cela n'est pas possible.
A la première place, il n'y a qu'un seul roi.
Et j'aimais plus que tous ces gens,
et j'aime plus que tous ces gens,
plus, bien plus qu'eux,
et si tout cet amour qui me brûle le coeur,
change mes jours en rêves,
et mes nuits en nuits blanches,
et si tout cet amour
me rend si malheureuse
comment ne le seraient-ils pas
eux qui ne t'aiment pas ?
qui aiment moins que moi ?
Ils rient,
mais ils rient faux.
Ils boivent leurs chagrins.
Ils parlent de malheur
et moi je veux t'aimer
même si je suis condamnée
à la souffrance à perpétuité
même si jamais tu ne dois m'aimer
même si jamais tu ne dois savoir que je t'aime
même si jamais tu ne dois prendre
ma main posée
là, près de la tienne,
sur la nappe à carreaux où s'émiette le jour,
où l'abat-jour orange tamise sa lumière ...
Mais le soleil se meurt derrière le Sacré-Coeur.
25 juin 62