Fort-Royal (Martinique), 20 juillet 1827


Très cher Papa et très chère Maman,

Depuis bien longtemps privés de vos nouvelles, nous sommes mon frère et moi dans l'attente pénible de savoir si les lettres que nous vous avons écrites l'un et l'autre en diverses époques vous sont parvenues.
Si vous avez comme je l'espère reçu ma lettre, vous êtes de ce côté-là plus heureux que nous: quoique je crois cependant qu'il n'y a pas de négligence de votre part si nous restons aussi longtemps privés de vos nouvelles.
Nos lettres, d'après ce qu'il paraît, se seront égarées en route.

Nous avons appris avec plaisir, ces jours derniers, par Mr Donat, que vous jouissiez d'une bonne santé, ce qui nous a rendus un peu plus tranquilles.
J'écrivis quelque temps après mon arrivée à notre tante ainsi qu'à notre soeur de Valence; nous sommes encore sans réponse; je ne sais si leur sont parvenues nos lettres. Veuillez toujours je vous prie leur faire part de cela et les assurer de notre parfaite considération et de notre amitié.

Pour ce qui nous regarde, très chers parents, veuillez bien vous tranquilliser: nous jouissons mon frère et moi d'une parfaite santé. Moi principalement, qui quand je vous ai quittés n'étais pas très bien portant, je n'ai jusqu'ici pas eu la moindre indisposition.
Grâce aux secours de mon frère et à son crédit, je suis en même de travailler. J'ai en avril dernier acheté la moitié de la propriété d'un gros bois et de onze nègres; finalement mon frère m'a prêté des fonds mais il a répondu pour moi. J'ai ensuite au commencement du mois dernier pris un intérêt sur un autre gros bois et j'en ai pris la gestion, de sorte que j'ai pour deux gros bois deux associés.
Je suis seul chargé de la direction des deux dits gros bois. J'ai pour me tenir lieu de gestion deux mille trois cent francs net par an. Enfin de (...) dans les revenus.

Mon frère jusqu'ici a fourni à tous mes besoins et veut bien continuer, encore que je sois en même maintenant de pouvoir par mon travail me suffire.
Comme nous sommes inséparables, je devais d'après nos derniers arrangements aller habiter St Pierre, mais il est décidé que je reste au Fort Royal auprès de mon frère.
Je suis si content avec lui sur tous les rapports que je ne saurais me déterminer à m'en séparer.

Chers parents, si je ne pensais pas que nous sommes séparés de vous, je ne m'apercevrais pas que j'ai quitté la France! Enfin je suis content et heureux.


Je vous prie de bien vouloir communiquer cette lettre à mon frère Maurice, sa femme, Baptiste et sa femme, Xavier et Eugène ainsi qu'à leur petite famille; veuillez les assurer de notre amitié.

Mon frère vous prie de dire à notre frère Eugène qu'il se rappelle la promesse qu'il lui a faite et qu'aussitôt qu'il sera en même de lui faire quelque chose nous lui écrirons de venir.
Dans ce moment une perspective avantageuse se présente à nous, mais une seule bourrasque peut la détruire en un instant.

Je prie mon frère Maurice de croire que son souvenir ainsi que celui de sa femme m'est cher. Je lui suis redevable de beaucoup car dans ce moment je lui dois les trois mille francs qu'il a prêté à mon frère Auguste, soit toujours ma caution.
Assurez de même mon respect à toutes les personnes qui vous parleront de nous; dites-leur que leur souvenir nous est cher.
Bonjour pour mon frère et pour moi à Nublat, dites-lui je vous prie que Monsieur et Madame Descostière Mère et fils lui souhaitent bien le bonjour; nous les avons vus depuis peu au Fort Royal en parfaite santé.
Veuillez dans votre première nous donner des nouvelles de notre frère Théodore, ainsi que de notre soeur de Vienne et de Maurice, notre beau frère. Assure-les de notre parfaite amitié et dites-leur que nous prenons le plus grand intérêt à ce qu'ils réussissent dans leur commerce.

Je prie mon frère Maurice à la première fois qu'il ira à Romans de vouloir passer chez Monsieur Bernard afin de lui assurer ma parfaite considération, de lui dire combien je lui suis reconnaissant de tous ses soins et de toutes les attentions qu'il a prises ainsi que son épouse et sa Mademoiselle, dans le temps de ma scolarité chez eux; à la première occasion je leur donnerai de mes nouvelles.
Dites à notre frère Baptiste qu'il nous écrive ainsi que sa femme, que j'embrasse de tout mon coeur.
Mes compliments au cousin Louis de St Marcellin, ainsi qu'aux parents de Montagne.

Bien chers parents, veuillez ne pas nous oublier et pensez à nous comme nous pensons à vous, et croyez à l'amitié de celui qui a l'honneur de se dire avec une parfaite considération
votre dévoué et respectueux fils.


Julien Perriollat

Veuillez être un peu moins avares de vos lettres et écrivez-nous un peu plus souvent.
Mon Papa aussitôt que je le pourrai je vous enverrai ce que je vous ai promis à mon départ.



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